Seul, je suis seul
Abandonné de mes hommes
Éloigné de ma famille, orphelin de père.
Isolé dans cette guerre
Au bout de ma solitude, cette arme qui me lâche.
Pas un coup, rien.
Unique pion de ce jeu d’échec
Je ne peux me résoudre à me lâcher.
Pour lutter, je dois survivre.
Pour survivre je dois plonger.
La vie, mon pays, ma famille, Père.
C’est là-bas sur l’autre rive – je plonge.
La Loire m’accueille en son sein,
Les balles, le pont explosé, je n’entends rien,
Mes bras, mes jambes. Tout est mouvement.
Je me glisse entre les bancs de sable, entre les balles.
Des pensées m’effusionnent, remous de pensées
Je brasse la Loire, le courant m’enlace
L’eau me porte et le courant m’emporte.
Mon but, l’autre rive, la vie, le combat.
Mon corps s’endolorise, rodéo sur les flots.
Père, Père, pourquoi m’as-tu laissé ?
J’ai ton visage devant mes yeux
Il se superpose à la grimace de l’ennemi
Quand ma balle le passe de vie à trépas
J’ai tué, Père, J’ai tué, instinct, réflexe ?
Déjà la survie et je nage entre les morts et l’autre vie !
J’avoue dans le flot, je revois tout
Mais, seul, j’oublie tout aussi.
Les balles s’épuisent et mon corps s’essouffle
Les flots me lèchent et le sable me rape.
Le pont s’envole et les airs me le rapportent
J’ai quitté la mort et l’abandon.
je respire goulûment l’air de liberté
Mon corps, mon esprit meurtris
Soudain s’alanguissent.
Terre, ô Terre natale
Fais des épreuves létales une œuvre créatrice.
De jeune homme fragile, je deviens socle
D'un désir de devenir.
J’aspirais à l’ordre militaire
Je touchais du doigt mon envie de faire.
Cette guerre s’éloigne, peut être, et la vie me gagne.
J’entends mon père sourire, mes sœurs m’applaudir
Et peut être ce nazi me maudire
Mais qu’importe, je reprends pieds.